S'écouter pour écrire

Mieux se connaître pour développer sa créativité et sa concentration

Chaque auteur traverse des moments de fluidité intense (le fameux « flow ») où l'écriture est un véritable plaisir, et des périodes où la page blanche semble infranchissable. Moi-même, en accompagnant des auteurs dans leurs projets, je vis régulièrement ces deux états. Mais le blocage n'est pas une malédiction : c’est une opportunité précieuse pour mieux se connaître et grandir en tant que créateur.

« Je n'arrive pas à avancer dans mon projet d'écriture »

Qui n'a jamais vécu ce moment frustrant où tout est prêt, l’ordinateur allumé, mais où les idées refusent obstinément de couler ? On hésite entre plusieurs titres, on part se resservir un café, on vérifie ses messages… Ou bien à l'inverse, on écrit intensément, mais après relecture, rien n’a vraiment de sens.

Alors comment sortir de ce conflit intérieur entre la volonté de créer et la frustration de ne pas avancer ?

Les fausses bonnes solutions

Face à ces blocages, on essaie souvent diverses astuces : couper les distractions, chronométrer sa concentration, trouver un modèle inspirant, ou encore s’aérer. Chacune de ces solutions peut sembler valable isolément, mais elles sont souvent appliquées au mauvais moment.

En réalité, le problème vient d'une confusion entre deux phases bien distinctes du processus créatif : l'ouverture créative et la concentration productive.

Phases d'ouverture créative vs concentration productive

Peut-être avez-vous remarqué que vous pouviez vous trouver dans deux états différents :

  • L’ouverture créative : marquée par une pensée divergente, qui consiste à explorer librement les idées, à rêver et à imaginer sans contraintes.

  • La concentration productive : caractérisée par une pensée convergente, centrée sur une tâche précise et analytique.

Distinguer ces deux phases permet de mieux gérer son processus d'écriture en adaptant ses stratégies selon l'état mental dans lequel on se trouve.

Comment identifier dans quelle phase vous êtes ?

Voici un petit test ludique pour mieux identifier votre phase actuelle.

Face à un problème, avez-vous tendance à :

  • a) Vous demander « pourquoi » il existe et explorer plusieurs pistes possibles ?

  • b) Vous demander « comment » le résoudre de façon concrète et structurée ?

Quand vous réfléchissez à des idées, êtes-vous plutôt :

  • a) À connecter librement des idées sans contrainte précise ?

  • b) À suivre une logique linéaire et structurée ?

Pour aborder une situation complexe, préférez-vous :

  • a) Explorer de multiples solutions possibles ?

  • b) Chercher une solution unique et optimale ?

Quel type de jeu préférez-vous généralement :

  • a) Les jeux infinis, dont le plaisir est de continuer à jouer et d'explorer ?

  • b) Les jeux finis, avec un objectif précis et le plaisir de gagner ?

Résultats :

  • Si vous avez une majorité de réponses « a », vous êtes certainement dans une phase d'ouverture créative.

  • Si vous avez une majorité de réponses « b », vous êtes en ce moment dans une phase de concentration productive.

Mais, rappelez-vous, les 2 phases sont essentielles à tout processus créatif équilibré !

La véritable solution : alterner consciemment les phases

Un auteur de fiction alterne entre deux états mentaux :

  • L’ouverture créative, propice à l’imagination débordante. Selon les neurosciences, cette phase active le « réseau par défaut » du cerveau, responsable des associations libres et spontanées.

  • La concentration productive, idéale pour structurer et peaufiner le texte. Elle mobilise le réseau de contrôle exécutif du cerveau pour structurer, évaluer, et affiner les idées précédemment générées.

Les neurosciences montrent que savoir quand se concentrer et quand lâcher prise est essentiel pour résoudre des problèmes créatifs[1].

Je vous propose ici 5 méthodes simples, inspirées de la méditation, des pratiques artistiques et des découvertes en neurosciences, pour mieux s’observer au quotidien. Elles vous aideront à reconnaître si vous êtes en mode créatif ou en mode analytique, et à ajuster votre travail d'écriture en conséquence.

1. Observer son esprit en pleine conscience

La méditation de pleine conscience apprend à observer sans jugement ce qui se passe en soi. Concrètement, il s’agit de prendre quelques minutes, assis calmement, pour prêter attention à ses sensations, émotions et pensées du moment. Cette pratique vient directement de la méditation bouddhiste, adaptée en exercices laïques de mindfulness. La technique de l’étiquetage mental en pleine conscience aide à voir plus clairement ce qui se passe en nous sur le moment. En nommant brièvement nos pensées ou émotions, on prend de la distance et on retrouve de la stabilité intérieure[2]. Pour un auteur, cela signifie qu’il devient plus facile d’identifier si l’esprit est en ébullition créative ou s’il est focalisé et critique. Des études en neurosciences ont montré que la méditation régulière améliore la métacognition, c’est-à-dire la capacité à observer ses propres processus mentaux[2].

2. Méditations d’ouverture et de concentration

Il existe différents styles de méditation, avec des effets spécifiques sur le cerveau. Deux formes opposées sont particulièrement utiles aux auteurs : la méditation d’observation ouverte et la méditation de concentration focalisée. Des études scientifiques ont mesuré l’impact de ces méditations sur la pensée créative. Quelques sessions de méditation ouverte suffisent à faciliter nettement la pensée divergente, tandis que des méditations focalisées améliorent modestement la pensée convergente. Ces effets s’expliquent par l’activation différente des réseaux cérébraux : la méditation ouverte sollicite des zones liées à l’imagination et à l’association libre, alors que la focalisation sollicite les réseaux d’attention et de contrôle exécutif[3].

3. Écriture libre quotidienne

Les artistes utilisent depuis longtemps l’écriture spontanée comme outil de découverte de soi. Une méthode célèbre est celle des « Morning Pages ». Il s’agit d’écrire chaque jour, de préférence au réveil, trois pages à la main de tout ce qui passe par la tête, sans se censurer. D’un point de vue psychologique, cela permet de déjouer le critique intérieur. Des études indiquent que ce type d’écriture automatique peut renforcer la créativité, améliorer la résolution de problèmes et favoriser une pensée plus innovante[4]. Sur le plan neuroscientifique, écrire à la main engage de nombreuses zones du cerveau différentes par rapport à la frappe au clavier[5].

4. Alterner travail intense et pauses créatives

Il est contre-productif de forcer la créativité en restant penché trop longtemps sur son manuscrit. Les neurosciences ont mis en évidence l’importance d’alterner des périodes de focus total avec des moments de relâchement mental. Une fois qu’on a bien travaillé en mode concentré, il faut parfois lâcher prise pour que l’inconscient prenne le relais[1]. Des chercheurs ont montré qu’une activité aussi simple que marcher quelques minutes pouvait doper la créativité : on observe en moyenne 60% d’idées en plus en marchant par rapport à la position assise[6].

5. Créer des rituels et environnements adaptés

Les artistes accordent souvent beaucoup d’importance à leur environnement de travail et à leurs rituels. Un bureau en désordre peut favoriser la pensée créative, tandis qu’un espace rangé encourage un travail plus conventionnel et discipliné[7]. Cette distinction d’environnement aide à mieux alterner entre le mode créatif et le mode éditorial[7].

Conclusion

En combinant ces approches – la pleine conscience pour s’observer, la méditation ciblée pour s’entraîner aux deux modes, l’écriture libre pour libérer l’inspiration, l’alternance travail/repos pour laisser mûrir les idées, et l’adaptation de l’environnement pour se conditionner – un auteur de fiction peut véritablement muscler sa connaissance de soi.

Ces méthodes, simples et accessibles, reposent sur des fondements solides : traditions artistiques éprouvées, techniques méditatives anciennes validées par la science moderne, et découvertes récentes des neurosciences sur le fonctionnement du cerveau créatif. Le maître-mot est la régularité : en pratiquant au quotidien, même quelques minutes, on développe une sorte de sixième sens qui permet de détecter son état intérieur (esprit vagabond ou concentré) et d’ajuster son processus d’écriture en temps réel.

À la clé, non seulement on gagne en efficacité – en évitant de lutter à contre-courant de son état mental – mais on cultive également un meilleur équilibre. L’écriture de fiction devient une alternance harmonieuse de phases d’expansion imaginative et de phases de resserrement constructif.

En sachant où vous vous situez à chaque instant sur ce continuum, vous pourrez tirer le meilleur de vous-même : tantôt le rêveur libre d’inventer des mondes, tantôt l’artisan appliqué à donner forme cohérente à ces mondes. Alors, n’hésitez pas à intégrer ces pratiques à votre routine créative – votre cerveau et vos futures œuvres vous en remercieront.

Sources et citations :

[1] Comment apprenons-nous ? Le paradoxe de la créativité https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2015/10/09/comment-apprenons-nous-le-paradoxe-de-la-creativite/

[2] La technique de méditation de l’étiquetage (ou note mentale) https://www.centrepleineconscience.fr/meditation-pleine-conscience-mbsr/technique-de-meditation-de-letiquetage-note-mentale

[3] La pleine conscience est-elle en lien avec la créativité, l’autodétermination, le flow ? https://www.hacking-social.com/2020/05/04/la-pleine-conscience-est-elle-en-lien-avec-la-creativite-lautodetermination-le-flow/

[4] Unlocking Creativity with Morning Pages https://www.reflection.app/blog/unlocking-creativity-with-morning-pages

[5] Handwriting's Brain Benefits https://www.npr.org/sections/health-shots/2024/05/11/1250529661/handwriting-cursive-typing-schools-learning-brain

[6] Marcher stimule la créativité https://sante.lefigaro.fr/actualite/2014/05/02/22294-marcher-stimule-creativite

[7] Tidy Desk or Messy Desk? Each Has Its Benefits https://www.psychologicalscience.org/news/releases/tidy-desk-or-messy-desk-each-has-its-benefits.html

Arnaud Aussibal

Bonjour !

Je suis script doctor. Voilà mon métier. J'accompagne les créateurs. Films, romans, BD. Je les aide à faire pousser leurs histoires..

L'art de raconter, ça s'apprend. Comme un jardin qu'on cultive. Et quand on sait voir les histoires, le monde s'éclaire. On le traverse autrement.

Une histoire vous trotte dans la tête ? Écrivez-moi : aa@lerecit.net

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